Adrien Krasniqi
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Medames, Messieurs les députés,

Je m'appelle Adrien Krasniqi, j'ai dix-neuf ans et je passe en seconde année de licence en formation bilingue droit français / droit anglo-américain à Nanterre (Université Paris X), j'ai obtenu mon baccalauréat scientifique en 2008 avec mention bien, je vis à Levallois Perret, dans les Hauts de Seine et mes parents à Franconville, dans le Val d'Oise.
Je me permets de vous écrire aujourd'hui, car d'une part votre site m'en offre la possibilité, d'autre part pour raison personnelle, et je vais m'expliquer maintenant.

C'est en 1999, alors que j'étais âgé de neuf ans, que ma petite sœur Aude est venue au monde. Ma mère était alors âgée de quarante ans, et nous voyions dans la venue de cette fillette une joie, un véritable bonheur : en effet, ce n'est pas sans peine qu'Aude a vu le jour (décollement placentaire en cours de grossesse).

Durant les trois premières années de sa vie, ma sœur était parfois un peu dans la lune, son regard dans le vide. Néanmoins, nous n'avons rien vu de très inquiétant dans ces comportements peu communs, et n'avons pas pensé une seconde à un possible handicap. C'est justement à l'âge de ses trois ans que ma sœur a commencé à présenter les traits caractéristiques d'une maladie hélas bien peu connue en France (qui a, dans ce domaine, plusieurs années de retard au regard d'autres Etats, à l'exemple de la Belgique ou du Canada), que l'on appelle l'autisme. Néanmoins, autisme est un terme bien vague, qui suscite parfois l'incompréhension, parfois la peur, et la médecine qualifie bien souvent d'autiste un enfant aux réactions peu compréhensibles, en vue de combler ses lacunes.

Oui, c'est exact, Aude a présenté pendant un an (et toujours à l'heure actuelle), des traits autistiques : écholalie (répétition de phrases identiques), isolement etc. C'est à compter de cette période que mes parents ont réalisé qu'Aude n'était pas un enfant lambda, c'était une fillette différente, néanmoins leur fille, et ma sœur, que nous aimons en tant que telle. Très vite, ma sœur a développé d'autres symptômes, et notamment une violence qu'elle orientait contre elle-même en se frappant les joues, ou en se mordant. Inquiets, mes parents sont allés consulter de grands spécialistes parisiens en vue de qualifier la maladie de ma sœur. L'un d'entre eux, très célèbre et dont je tairai le nom, nous a expliqué qu'Aude était sujette à une psychose infantile évolutive ce qui, en d'autres termes, signifiait que plus les années passeraient, plus ma sœur serait violente et malade. Il est inutile de préciser qu'une telle qualification est peu satisfaisante pour une famille, car elle n'offre pas la possibilité de traitements concrets et scelle son destin : celui du combat incessant contre le handicap.

Cet homme avait vu juste : Aude a petit a petit dirigé sa violence contre les objets, jetant à travers les pièces livres, vaisselle, tout ce qui lui passait sous la main. Puis c'est contre nous que cette violence s'est retournée. De plus, ma sœur a développé en même temps que cette violence (très difficile à vivre et supporter au quotidien) des périodes de frénésie, où elle hurlait (ce qui pouvait durer une minute comme plusieurs heures). Ces hurlements sont évidemment explicables : ils reflètent la souffrance d'une enfant aux capacités intellectuelles quasi identiques aux nôtres mais qui ne peut communiquer avec nous normalement, en raison de son handicap.

La situation devenait très difficile, d'autant plus que l'école, qui voyait un danger dans ses réactions et sa violence (ce qui est compréhensible, à l'égard des autres enfants) a pris la décision de la déscolariser : Aude vivrait donc avec sa maladie, sans contact avec des enfants de son âge, mon père s'en occuperait toute la journée (il ne travaille plus pour se consacrer à son éducation) et ma mère et moi nous en occuperions le soir. Pour nous, et principalement mes parents car j'étais trop jeune à l'époque pour comprendre l'impact d'une telle décision, cela n'était pas tolérable. Le destin faisant souvent bien mal les choses, nos voisins d'immeuble (nous habitions en effet à Levallois Perret, au douzième étage) se sont plaints des cris de ma sœur, des bruits qu'ils entendaient chez nous (dont l'origine, bien sûr, était Aude elle-même). Dans l'urgence, ma mère (qui est une excellente avocate, et travaille beaucoup) a cherché une maison en vue de nous isoler, de permettre à Aude de hurler tant qu'elle le voudrait sans déranger notre voisinage mais également de se défouler, jouer, s'intéresser (nous avons un grand jardin, avec une petite piscine, une balançoire). De plus, l'école qui est au bout de notre rue actuelle a donné son approbation à l'entrée d'Aude en primaire. Nous avons donc déménagé dans l'urgence, principalement à cause de nos voisins qui, au lieu de nous demander des explications et s'intéresser un minimum à la petite fille de cinq ans qu'ils croisaient parfois dans l'ascenseur et entendaient crier, nous ont pointé du doigt alors que depuis deux ans déjà, un véritable combat contre la maladie avait été mené par mes parents.

Notre maison de Franconville, ma mère l'a très justement qualifié de prison : c'est vrai, nous nous y sommes enfermés, alors que je rentrais en première scientifique (section qui représente beaucoup de travail et d'investissement personnel), bien que très mauvais en sciences et plutôt littéraire, et que ma mère continuait à travailler car bien sûr la maladie d'Aude a un coût : elle a été suivie par beaucoup d'accompagnatrices, spécialisées en psychologie, appliquant souvent la méthode A.B.A (héritée des Etats-Unis et fort peu connue en France, sauf dans la région lilloise) qui n'est pas entièrement remboursée par la Sécurité Sociale (ce que, bien évidemment, je ne peux comprendre). Je trouve même que prison est un euphémisme : depuis trois ans, Aude a grandi, pris du poids, et sa violence est devenue pratiquement ingérable. Ma mère, à titre d'exemple, s'est déjà fait mordre A L'ŒIL alors qu'elle dormait à côté de ma sœur, une nuit, et je ne parle pas des morceaux de peau qu'Aude lui arrache quand elle se jette sur elle pour la griffer, des morsures que présentent ses deux bras, des monceaux de cheveux arrachés depuis six ans… Il n'y a pas qu'avec ma maman que ma sœur est violente, sa violence peut se retourner contre quiconque, néanmoins mon père seul arrive à la canaliser, car il s'en occupe en permanence, et ma sœur a du développer un sentiment de sécurité à ses côtés, un bien être qui amoindrit ses crises. Mon père s'occupe de ma sœur TOUTE LA JOURNEE, sauf quand elle va en cours le matin (c'est-à-dire pendant trois heures) et qu'une accompagnante s'en occupe (deux ou trois heures). Il doit dormir avec Aude, qui ne s'endort pas sinon et l'agresse parfois au beau milieu de la nuit quand elle se réveille ce qui, pour résumer, doit représenter une quinzaine d'heures passées aux côtés de ma sœur, qui hurle, se jette sur nous pour nous frapper, n'arrive pas à s'intéresser réellement au monde qui l'entoure, s'isole dans un profond mutisme (ou parle seule, ne nous répondant presque jamais).

Durant la journée, ma mère travaille : bien difficile de faire vivre une famille de quatre personnes, dont l'un des membres présente un handicap si coûteux et si difficile, terrible à vivre chaque jour. Mes parents se qualifient eux-mêmes de tandem : chacun d'eux à son rôle à jouer, mon père est avec Aude la journée, tente de jouer avec elle, l'emmène se promener dans le jardin, essaie de la faire nager, regarde des films ou des livres avec elle, ma mère prend le relai en rentrant de son cabinet, prépare le repas, lave Aude (si cela n'a pas été fait avant), l'aide à s'endormir. Elle a donc seulement du temps pour travailler la journée, dans son cabinet, hors la charge de travail est colossale, pourtant elle s'en sort très bien, ce que je trouve admirable. J'admire tout autant mon père, qui se bat tous les jours dans l'espoir de voir ma sœur guérir un jour. Tous deux ont tiré un trait sur leur vie sociale depuis bientôt six ans : habitués à leur travail automatique, je dirais presque de robots, les mots cinéma, dîner ou même famille, amis, doivent avoir bien peu de sens à leurs yeux. Pourtant, Mesdames et Messieurs, vous qui êtes parents, vous qui êtes amis, vous qui travaillez, vous devez savoir autant que moi combien la vie sociale est importante au développement de l'homme et à son équilibre.

Nous sommes allés voir les plus grands médecins et spécialistes français, aucun d'eux n'a été à même de mettre un nom sur cette maladie qui nous fait vivre un calvaire. Nous vivons dans l'attente, l'espoir de voir un traitement nouveau apparaître (ma sœur a quelques médicaments dont les effets sont aléatoires, et qui lui ont fait prendre plusieurs kilos, ce qui la rend très mal dans sa peau, encore plus mal dans son corps qu'à l'accoutumée, si toutefois cela est possible).

Nous avons trouvé quelques solutions provisoires : son médecin traitant, qui a bien vu que mes parents étaient anéantis, fatigués, exténués a proposé l'hôpital de jour : Aude y va l'après-midi, parfois, et nous ne savons pas ce qui s'y passe. Néanmoins, elle a l'air de s'y sentir bien. Elle n'y reste que deux ou trois heures, car nous l'aimons trop pour la voir partir toute la journée.

Nous nous sommes tournés vers la Belgique, mais les démarches d'inscription sont longues et fastidieuses. Un seul centre a accepté de nous ouvrir ses portes, le SEQUOIA, mais mes parents n'ont pas eu la force morale d'y placer ma sœur, car l'établissement était en haut d'une colline, presque coupé du monde, et les enfants qui y étaient ne présentaient pas les mêmes symptômes que ma sœur, ils étaient beaucoup plus calmes. De plus, Aude nous a très vite dit qu'elle n'avait pas aimé, qu'elle se sentait mal, or Aude ne ment jamais sur ses sentiments et nous savons d'avance lorsqu'elle ne se sent pas à son aise.

Je pense avoir exposé assez brièvement, mais clairement, notre situation familiale. Je vous laisse donc imaginer ma surprise quand ma mère, il y a de cela deux semaines, m'annonce l'arrivée d'un courrier de la DASS : une plainte pour maltraitance. Je suis tombé des nus. Mes parents ont consacré leur vie entière à ma sœur, se sont investis financièrement, moralement, et ce par amour, n'ont pas voulu se débarrasser d'un enfant à la pathologie grave. Leur vie entière est tournée vers Aude, qui évolue dans un environnement familial extraordinaire et qui se sent aimée, et elle a bien raison. Je reviens à mon cas : ma mention au baccalauréat scientifique, ma réussite cette année en bi-licence, je les dois à mes parents qui ont toujours su m'apprendre à travailler, m'ont inculqué des valeurs que je considère comme essentielles, or je pense que la première caractéristique de parents maltraitants et qu'ils sont désintéressés. Vous constaterez, Mesdames, Messieurs les parlementaires, combien cette plainte est en décalage avec le calvaire que vivent mes parents depuis six ans. Je mets au défi quiconque de s'occuper aussi bien d'un enfant malade, d'autant plus lorsque ledit enfant répond par la violence (qui, de plus en plus, représente un véritable danger, car Aude est devenue quasi incontrôlable) ! Quelle ne fut pas ma surprise, en plus de cette nouvelle si terrible et calomnieuse à mes yeux, d'apprendre que la plainte avait été déposée ANONYMEMENT !

Je soutiens vos actions dans le domaine de la maltraitante contre les enfants, et je présume que le 119 a sauvé bon nombre d'enfants qui subissaient des traitements à frémir : néanmoins, dans le cadre de ce que j'ai vécu, du combat de mes parents, tous deux exceptionnels et qui se battront jusqu'à leur dernier souffle pour ma sœur qu'ils aiment plus que tout au monde, je ne peux m'empêcher d'intervenir. C'est un véritable préjudice que nous avons subi. Mes parents n'ont plus aucune force, je les sens très faibles, et eux ne réagiront pas mais je tiens à le faire car je les aime, et j'aime ma petite sœur. Je ne peux pas accepter l'idée qu'une personne lambda, qui pourrait être mon voisin comme le facteur, ait pu faire une si grossière erreur : un geste qui ne lui était sans doute pas difficile, et ne l'empêchera pas de dormir, mais qui me ronge pour ma part depuis plusieurs jours. Je souhaitais donc, si cela vous était possible, m'entretenir avec certains des créateurs de cette loi, débattre du problème du handicap et, même si c'est beaucoup demander, j'aimerais retrouver l'auteur de cette plainte non pas pour un règlement de compte, mais pour une explication. De plus, c'est avec un retard de vingt minutes que les assistantes sociales chargées de l'affaire sont arrivées chez nous, ce qui est particulièrement pénible vis-à-vis d'Aude, qui sentait l'ambiance de tension qui régnait autour d'elle et, compte tenu de ses traits autistiques, supporte très mal les retards ou changements de programme. Une autre information importante, dont je tenais à vous faire part, est la création par ma maman, dix jours avant ladite enquête, d'un dossier (relativement minime par rapport au véritable dossier médical de ma sœur, qui commence à l'âge de ses trois ans) et d'une lettre RAR expliquant notre situation ce qui, me semble-t-il, aurait du suffire afin d'éviter une visite désagréable, le préjudice subis étant déjà particulièrement pénible. Le dossier que ma mère avait donc constitué dans l'urgence n'a pas même ETE LU. Je considère être en droit de vous demander si cet oubli est normal ; pour moi, il est intolérable.

J'attends une réponse, je doute que la lecture de cette lettre vous laisse de marbre, auquel cas bien peu de choses doivent vous émouvoir. Mes parents n'ont pas connaissance de ma démarche, c'était important pour moi de vous écrire, car nous n'avons jamais demandé la gloire (pourtant, je peux affirmer sans trop me tromper que la quasi-totalité des familles auraient placé leur enfant dans un centre après ce que nous avons vécu), mais croire mes parents "maltraitants", je ne peux le tolérer.

Je vous remercie d'avance et vous prie d'agréer, Mesdames, Messieurs, les député(e)s, l'expression de mes sentiments distingués.

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Adrien Krasniqi

— Cette page est dédiée à notre fils, Adrien —