L'amor et la mort : page 5

François

Dad!

Le père

Et quoi ? J'aime m'entendre raconter de jolies choses. Ce que j'ai dit reste vrai : je suis une marionnette, moi aussi.

François

(Tout en servant un verre à son père) « La critique est aisée mais l'art est difficile». Certains sont attachés à leur cuisine comme tu l'es à ton whisky, il faut les laisser en paix : c'est une question de respect, rien de plus.

Le père

(Après avoir bu son verre cul sec) Je maintiens que Frigidor ne fera pas long feu. Je n'aime pas Sir Harold, je suis sûr que l'idée du frigidaire - micro-ondes vient de lui.

François

Tu le connais ?

Le père

Sache pour ta gouverne, mon petit bonhomme, que je l'ai rencontré bien des années avant ta naissance. Nous étions en maternelle ensemble.

François

Quelle mémoire ! Mais alors ... quel âge a-t-il ?

Le père

C'est exactement ça ! Tu l'auras compris par toi-même, cet homme est un malfrat. Chef d'entreprise à soixante-dix-huit ans, du jamais vu !

François

(Songeur) Pourquoi n'a-t-il aucun problème avec les autorités ?

Le père

M'as-tu seulement écouté, fiston ? (Très sérieux) Tout simplement parce que l'homme est esclave de son micro-onde et que les micro-ondes sont esclaves de Sir Harold ! C'est un lien de cause à effet des plus évidents : soumis à l'autorité d'un micro-onde lui-même soumis à l'autorité de Sir Harold, un homme est nécessairement soumis à l'autorité de Sir Harold ! Tous les Anglais sont soumis à leur micro-onde. Par conséquent tous les Anglais sont soumis à Sir Harold.

François

Considérant les choses sous ce prisme, ta position est indiscutable. Et qu'a-t-il donc fait, ce pauvre Monsieur, pour essuyer tes foudres?

Le père

(Musique classique triste. Le personnage regarde au loin, l'air désespéré, comme sur le point de faire une révélation spectaculaire) Un jour. .. Je peine à en parler ...

François

(La musique cesse) Allons donc ! La psychanalyse reste la meilleure des thérapies!

Le père

(La musique reprend, plus triste, plus douce) Un jour, Harry ... (La musique cesse, le père prend un ton moqueur) Harry Harold, n'est-ce pas ridicule ?

François

Dad ! Ne change pas de sujet !

Le père

Bien, bien ... ! (La musique reprend) Un jour Harry, âgé de quatre ans à peine, a décidé de faire une sculpture. (La musique cesse) Tu connais les enfants, n'est-ce pas ? Ne le prends pas mal, mais comme tu es célibataire ...

François

(Au public) C'est toujours agréable.

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Adrien Krasniqi : "L'amor et la mort"